Dans son rapport « Transformer notre monde : l’agenda 2030 pour le développement durable », l’Organisation des Nations Unies (ONU) définit cinq piliers, les cinq P (People, Planet, Prosperity et Peace, Partnership) avec des engagements respectifs que l’on traduit ainsi :
People : « Nous sommes déterminés à mettre fin à la pauvreté et à la faim, sous toutes leurs formes et dimensions, et à faire en sorte que tous les êtres humains puissent réaliser leur potentiel dans la dignité et l’égalité et dans un environnement sain. »
Planet : « Nous sommes déterminés à protéger la planète de la dégradation, notamment par une consommation et une production durables, en gérant durablement ses ressources naturelles et en prenant des mesures urgentes contre le changement climatique, afin qu’elle puisse répondre aux besoins des générations présentes et futures. »
Properity : « Nous sommes déterminés à faire en sorte que tous les êtres humains puissent mener une vie prospère et épanouie et que le progrès économique, social et technologique se fasse en harmonie avec la nature. »
Peace : « Nous sommes déterminés à favoriser des sociétés pacifiques, justes et inclusives, exemptes de peur et de violence. Il ne peut y avoir de développement durable sans paix et pas de paix sans développement durable. »
Partnership : « Nous sommes déterminés à mobiliser les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cet Agenda par le biais d’un Partenariat mondial pour le développement durable revitalisé, fondé sur un esprit de solidarité mondiale renforcé, axé en particulier sur les besoins des plus pauvres et des plus vulnérables et avec la participation de tous les pays, toutes les parties prenantes et toutes les personnes. Les interdépendances et la nature intégrée des objectifs de développement durable sont d’une importance cruciale pour garantir la réalisation de l’objectif du nouvel agenda. Si nous réalisons nos ambitions dans toute l’étendue de l’Agenda, la vie de tous sera profondément améliorée et notre monde sera transformé pour le mieux. »
Si l’on s’intéresse à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) ou sa déclinaison RSO (Responsabilité Sociétale Organisations), on peut rapprocher ces cinq P des sept piliers de la norme ISO 26000. Publiée depuis le 1er novembre 2010, celle-ci définit comment les entreprises ou les organisations doivent contribuer au développement durable.
Elle ne fournit pas un cadre de certification (comme l’ISO 9001 en matière de qualité). Elle fixe des lignes directrices. Elle est à considérer comme un « guide de progrès » pour s’auto-évaluer. Elle peut donner lieu à des évaluations ou des labellisations comme le label Lucie 26000.
Les sept piliers de la norme ISO 26000 sont :
Le 31 décembre 2022 a été marqué en France par une météo presque printanière, « la nuit de la Saint-Sylvestre ayant été la plus douce jamais mesurée » (source France Info 01/01/23). Illustration récurrente des changements climatiques en cours… alors que l’objectif de tenir la limite de 1,5° de réchauffement d’ici la fin du siècle en cours (accord de Paris) a été déclaré « hors d’atteinte » par François Gemenne, le rapporteur du GIEC, même s’il estime qu’il « n’est jamais trop tard » (source France Info 06/11/22 – COP 27)
« Nous serons à 1,5 degré d’élévation de la température d’ici 2035 environ. Le seuil de concentration des gaz à effet de serre qui correspond à 1,5 degré est de 350 parties par million (ppm). Il a été franchi vers le milieu des années 80. Nous sommes aujourd’hui autour de 417 ppm et chaque année nous prenons environ 2,6 ppm supplémentaires. »François Gemenne (France Info 06/11/22)
Dans ce contexte d’urgence où chaque gain marginal compte, le poids négatif du numérique, au cœur désormais du développement de l’économie et porté par le progrès technique (même si l’on peut légitimement s’interroger sur les bénéfices pour l’Humanité du Métaverse ou des crypto-monnaies…), prend sa part. Dans une note publiée le 21/12/22, l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) reprend des chiffres connus :
« Le numérique représente aujourd’hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale. (…) Selon le pré-rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat, les émissions en GES du numérique pourrait augmenter de manière significative si rien n’est fait pour en réduire l’empreinte… plus 60 % d’ici à 2040, soit 6,7 % des émissions de GES nationales. »Source : L’empreinte environnementale du numérique – ARCEP
Si l’on questionne cette problématique, en regardant du côté des travaux de recherche, la lecture de l’article « Le numérique questionné par l’éthique située des écologies politiques », publié en 2022 dans La Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication, est structurante.
Les auteurs (Anh Ngoc Hoang, Sandra Mellot et Magali Prodhomme) s’accordent sur la notion d’un « paradigme écologique » à double entrée :
Le propos (parfois complexe) mérite vraiment de s’y attarder. En résumé, il aborde :
Le processus de formulation et de circulation sociale des enjeux écologiques du numérique aujourd’hui. (…) Comment le numérique est-il problématisé, par différents acteurs, dans l’espace public français, par des formulations qui le font passer, pour reprendre le cadrage théorique de Bruno Latour (2004), d’un « matter of fact » à un « matter of concern »
Le processus dans lequel des textes, au sens large de ce terme, qui sont des formulations de questionnements écologiques du numérique, circulent à travers des espaces sociaux, par le jeu et les enjeux des différents acteurs.
La prise en compte de la situation permet une objectivation de conflits de valeurs autour du numérique, tels que les conflits de valeur entre les « biens écologiques » et d’autres biens portés par le « numérique », plus généralement entre l’« hyberbien écologique » et l’« hypersystème numérique »
Quel est l’objectif de ce travail ? Il s’agit de « saisir la portée éthique des expérimentations qui émergent actuellement dans nos sociétés contemporaines autour du numérique pour envisager ce qui est nommé par le numérique responsable, ou la sobriété numérique, voire la dénumérisation, etc. Dans ces cas, la notion du public (telle qu’elle est conçue par Dewey) prend tout son sens : le public n’est pas réduit à la figure de simple consommateur, d’utilisateur ou d’usager du numérique. La question qui nous intéresse est donc d’appréhender comment des individus se rassemblent autour d’une chose commune (res publica), en l’occurrence autour des enjeux écologiques du numérique.
Ainsi, l’enjeu consistera dans le fait de permettre aux parties prenantes du numérique de construire les modalités de leur participation effective (Zacklad et Rouvroy, L’éthique située de l’IA et ses controverses) à l’élaboration des nouveaux possibles dans leurs manières de concevoir et d’utiliser le numérique dans une perspective écologique. »
Quelles conclusions ? Deux principales qui balisent le chemin qui s’ouvrent devant nous, en tant que citoyen et acteur professionnel du numérique :
(*) L’hyperbien écologique est défini comme « un bien constitutif qui forme des sources éthiques majeures pour notre époque contemporaine : il détermine un cadre de référence pour définir ce qu’est une vie bonne qui est désormais celle où l’on agit à partir des valeurs écologiques. En plus, il fonde une nouvelle morale, traduite en normes, obligations, interdictions émergentes visant à défendre ces valeurs. »
Des éléments de contexte et un exposé (un peu long…) qui permettent de revenir à nos trois P initiaux : People, Planet, Prosperity (et non Profit). Ce qui incite à regarder du côté de l’entreprise contributive, prônée par Fabrice Bonnifet, dans son livre éponyme.
Puisqu’il est désormais avéré que la croissance sans fin (le Plus), clé de voûte du capitalisme, ne garantit plus le confort (le Mieux), basculons « du plus au mieux ». Autrement dit : « Comment passer de l’illusion de la croissance infinie dans un monde fini en ressources, à la réalité d’une abondance frugale dans un monde inclusif et décarboné ? »
Rapportée au numérique, l’équation est à multiples entrées :
Au sens de l’Institut du Numérique Responsable, « le numérique responsable permet de réunir les aspects du développement durable dans le cadre des activités numériques d’une organisation. Il permet de faire converger les transitions écologiques, sociale, sociétale et numérique ».
Les trois P deviennent autant de points cardinaux (attention à ne pas perdre le Nord car il en manque un…) :
Au final, « il ne faut surtout pas laisser à des experts le fait de décider que telle technologie ou tel usage sera utile ou non. C’est effectivement une question de débat démocratique… » estime l’ingénieur et centralien Philippe Bridoux (dans le podcast du Monde cité ci-dessus). Ce qui nous ramène, pour boucler la boucle, à la capacité des citoyen.ne.s à construire ensemble une res publica (un bien commun) dont la part numérique soit soutenable et non à subir des usages imposés !
Toute entreprise, TPE, PME, ETI…, de service ou industrielle, embarquée dans une dynamique collective par ses salariés et ses dirigeants, est légitime à jouer un rôle actif au sein de ce mouvement, RSE par nature.
Pierre Minier
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